ArtExpos
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Exposition CAILLEBOTTE
« Peindre les hommes »
Musée d’Orsay
Du 08 octobre 2024 au 19 janvier 2025
A l’occasion du 130e anniversaire de la mort de Gustave Caillebotte (1848-1894), le musée d’Orsay présente une sélection d’environ 80 œuvres du peintre réalisées entre 1872 et 1892.
Huiles sur toile, pastels, dessins, photographies et documents, la grande majorité des pièces exposées sont des prêts rarement exposées au public. Plus de la moitié d’entre elles proviennent de collections particulières. Une dizaine sont des prêts de musées américains, telles Jeune homme à sa fenêtre et Rue de Paris, temps de pluie propriétés du J. Paul Getty Museum de Los Angeles et de l’Art Institute of Chicago.
A ne surtout pas rater !
Visite guidée de l’exposition
Autoportrait (1892) Musée d’Orsay
L’exposition se décline en huit parties distinctes, chacune consacrée à un thème spécifique.
Le parcours commence sur une unique toile, un Autoportrait réalisé en 1892, deux années avant la mort de l’artiste, période où ses représentations humaines se raréfiaient au profit de tableaux de fleurs, intense passion que Caillebotte partageait avec son ami Monet.
Caillebotte et l’armée
Ce premier volet nous fait remonter à la jeunesse de Caillebotte. Il a 22 ans lors de la guerre de 1870. Le parc autour de la propriété de ses parents est à la disposition de l’armée. Le jeune artiste croque le bivouac des soldats dans le parc. On perçoit déjà dans ces tableaux de petits formats son habilité à exprimer toute la variété des attitudes humaines et sa perception photographique et quasi documentaire des scènes qu’il va représenter.
Gustave et ses frères
Gustave Caillebotte restera proche de sa famille toute sa vie. Les six tableaux de cette section de l’exposition ont été exécutés entre 1875 et 1878. Ils offrent la vision du quotidien d’une famille bourgeoise solidement ancrée dans les convenances de son milieu et de son époque.
L’un des tableaux, le Déjeuner réalisé en 1876, en concentre tous les aspects. Il montre le point de vue de l’artiste qui photographie littéralement la scène. La « prise de vue » démarre à partir de son assiette posée devant lui – on en aperçoit la moitié au bord inférieur de la toile – pour se projeter de l’autre coté de la table et jusqu’au fond de la salle à manger. Les attitudes des protagonistes sont rendues avec réalisme, son frère à droite courbé sur son plat, et au fond, sa mère et le domestique, sont chacun dans leur rôle. Les sources de lumière provenant des fenêtres se reflètent sur son assiette et son couteau au premier plan, sur la cristallerie et jusqu’au plastron du maitre d’hôtel, autant de symboles d’une vie bourgeoise de la fin du XIXème siècle.
Au travail et à l’œuvre
Cette section riche de dix-sept œuvres, ne se focalise en fait que sur deux tableaux, Raboteurs de parquets et Peintres en bâtiments. Chacune de ces deux toiles est associée à plusieurs esquisses et études détaillant les étapes du travail préparatoire qui trouvera son aboutissement dans le tableau. Nous retrouvons à nouveau la perception quasi photographique et documentaire de Caillebotte. Les attitudes et la morphologie des ouvriers au travail ou des passants dans la rue sont rendues avec réalisme. La composition, la perspective et l’éclairage en renforce le caractère. On est frappé par l’économie de moyen dans le rendu des détails et l’utilisation des couleurs. Rien de superflu, rien d’outré, chaque élément du tableau est signifiant et concoure au réalisme de la scène.
Tableau Raboteurs de parquets
Dans Raboteurs de parquets on observera la maigreur musclée des ouvriers, la précision des gestes techniques, l’amoncellement des copeaux, les effets de brillance et de mateur des lattes de parquet, et jusqu’à la bouteille de vin dans le registre droit du tableau.
Raboteurs de parquets (1876) Coll. Part.
Etude pour raboteurs de parquets : homme agenouillé vu de trois quart dos et homme assis par terre (1875) Coll. Part
Etude pour raboteurs de parquets : homme assis par terre de face (1875) Pontoise, Musée d’art et d’histoire Pissaro
Tableau Peintres en bâtiments
Dans son tableau Peintres en bâtiments, Caillebotte utilise la perspective pour souligner la longueur d’une rue typiquement haussmannienne. On note une forte homogénéité des couleurs, en harmonie avec le ciel gris laiteux de Paris. Les nuances aux tons cassés renforcent l’impression d’un espace où ouvriers et passants se côtoient sans se voir. Les esquisses préparatoires contribuent à l’intelligibilité du travail et des choix finaux de l’artiste.
Etude pour Peintres en bâtiments : homme en haut d’une échelle, bras droit et la jambe gauche levés (1877) Coll. Part.
Etude pour Peintres en bâtiments : homme mélangeant de la peinture et étude de mains (1877) Coll. Part.
La ville est à nous
La modernité urbaine constitue l’un des grands centres d’intérêt de Caillebotte dans la première partie de sa vie d’artiste. Quatre sujets traités dans les quatorze tableaux de cette section concourent à exprimer sa perception du Paris Haussmannien de son environnement : Le Pont de l’Europe, Rue de Paris, temps de pluie, le boulevard vu depuis le balcon et La caserne de la Pépinière.
On remarque à nouveau au travers des nombreuses études et esquisses jointes aux tableaux, comment Caillebotte effectue un travail d’observation lui permettant de rendre les attitudes humaines avec réalisme. L’audace des prises de vue en plongée suscite surprise et admiration comme dans Boulevard vu d’en haut et Un refuge, Boulevard Haussmann témoignent qui pourraient s’apparenter à des photographies.
Portraits de célibataires
La section suivante regroupe treize portraits d’amis de l’artiste, dont le célibat serait la particularité commune. Figurant en majorité des hommes, trois toiles cependant comportent des figures féminines à leurs côtés. L’un de ces trois tableaux présente une figure féminine comme sujet principal. Les deux autres figurent Charlotte Cordier, la compagne de Caillebotte.
En dépit de la diversité des postures et des regards des personnes représentées, on observe une forte homogénéité de ces portraits qui frappent par la distanciation de l’artiste vis-à-vis de ses modèles.
Un étonnant Autoportrait au chevalet complète cet ensemble. Gustave Caillebotte se représente en tant que membre de sa fratrie, peintre et collectionneur. Assis devant son chevalet dans son atelier parisien, il est en train de peindre une toile penchée en oblique dans sa direction. Il fixe la personne qui regarde le tableau. Dans son dos, sont accrochés trois tableaux de sa collection, notamment le Bal du Moulin de la Galette de son ami Renoir, qu’il a acquis en 1877. Sous les tableaux, son frère Martial est assis sur un canapé.
Peindre le corps nu
Émergeant de l’ambiance un peu étouffante des portraits, le visiteur pénètre dans une salle aux modestes dimensions, ne comportant que trois uniques tableaux de grands formats. De part et d’autre, deux prises de vue différentes de 1884 du même jeune homme qui s’essuie le corps après son bain.
A nouveau, on observe le réalisme de cette peinture proche de l’instantané photographique, chaque détail y joue un rôle déterminant comme l’empreinte des pieds mouillés sur le parquet.
Entre ces deux tableaux, une grande huile sur toile de format rectangulaire réalisée en 1880. Elle représente une femme nue allongée sur un divan. Dans un style réaliste et plutôt cru, à l’opposé des Vénus voluptueuses en vogue à son époque, le peintre oppose la minceur du modèle aux coussins rebondis du divan, la blancheur livide de la peau au tissu fleuri coloré et au rouge de ses lèvres, la finesse de la morphologie à l’abondante pilosité pubienne. Les vêtements en tas à la tête du modèle et les bottines au sol suggèrent une sensualité en opposition avec les normes sociales du XIXème siècle.
Caillebotte et les sportsmen
Les sports nautiques jouent un grand rôle dans la vie de Caillebotte qui les pratiquera en compagnie de ses amis, tout d’abord sur la Yerres, rivière qui longe la propriété de sa famille, puis sur la Seine au Petit-Gennevilliers, où il s’installera définitivement à partir de 1887. L’artiste consacre de nombreuses toiles aux motifs nautiques baignade, canotage, natation, pêche, régates. Il peint des hommes en tenue décontractée et chapeaux de paille ramant dans des embarcations fuselées, les Périssoires.
Autoportrait au chapeau d’été présente l’un des rares autoportraits souriants de l’artiste en 1873. Il a 25 ans. C’est une œuvre de jeunesse, le peintre est encore débutant et n’a pas encore été confronté à ses futurs nombreux deuils familiaux et aux difficultés à venir de sa vie artistique. Ce tableau est à mettre en relation avec l’Autoportrait très sombre réalisé en 1892 à la fin de sa vie.
On observe à nouveau sur ces toiles l’intérêt de Caillebotte pour les attitudes humaines, ici les postures sportives du rameur et du plongeur. Fait nouveau Caillebotte s’intéresse à l’expression picturale de la vitesse et du mouvement qu’il parvient à rendre grâce à deux procédés : d’une part, un plan coupé des embarcations qui semblent passer trop vite pour être saisies, d’autre part, le traitement des mouvements et reflets sur l’eau, éclaboussures, courants, ondes, que provoquent les rames et les barques en pleine vitesse.
Les plaisirs d’un « amateur »
Cette section réunit des œuvres de plein air réalisées dans le dernier tiers de la courte vie de Caillebotte et qui reprennent ses principaux centres d’intérêts :
- Le rendu des postures et mouvements du corps humain :
Qu’il représente un personnage au repos ou en mouvement, Caillebotte excelle dans le rendu des attitudes humaines. Chacun s’y reconnait et peut littéralement s’identifier au promeneur marchant sur un chemin, allongé sur un talus ou encore cueillant des fleurs au jardin.
- La rivière et le nautisme
L’intérêt de Caillebotte pour les mouvements de l’eau dans ses tableaux dédiés au canotage des années 1877-1878, gagne en importance dans les œuvres des années de maturité de 1890-1893. On note une véritable audace notamment dans le rendu du sillage des bateaux et des reflets dans l’eau qui prennent la forme de zigzag de couleur tranchée ocre jaune et blanc pur sur le bleu de l’eau.
- Le jardin d’agrément
Ces tableaux évoquent l’influence conjuguée de Monet et Renoir. L’atmosphère douce et la nature accueillante induisent un effet positif très éloigné de la production artistique de ses jeunes années parisiennes. Les couleurs chaleureuses et les effets de lumière renforcent cet effet.
L’intérêt de Caillebotte pour le jardinage et l’horticulture va grandir tout au long de sa vie. Il partage avec son ami Monet cette passion qui l’amènera à représenter jardins et fleurs sur de nombreux tableaux à la fin de sa vie.
Conclusion
L’exposition du musée d’Orsay permet aux amateurs de la peinture de Caillebotte de se replonger avec un immense bonheur dans l’univers de l’artiste.
En dépit de l’interprétation au prisme des études de genres souhaitée par les commissaires de l’exposition, qui peut prêter à polémiques, le visiteur passe tout simplement un moment magnifique à s’imprégner sans arrière-pensée du style inimitable de Caillebotte. On apprécie à sa juste valeur l’opportunité de pouvoir admirer ses chefs-d’œuvre comme les Raboteurs, et le Pont de l’Europe, ou encore la Rue de Paris, par temps de pluie prêté par l’Art Institute de Chicago. En outre les nombreux dessins et esquisses préparatoires apportent une plus-value d’intérêt particulièrement appréciable pour comprendre sa méthode de travail.
L’exposition correspond à la date anniversaire du legs de Gustave Caillebotte de sa collection de peintures impressionnistes à l’État. Pour accompagner l’exposition et redonner vie à « la salle Caillebotte du musée du Luxembourg de 1897 », l’ensemble des œuvres du legs est présenté temporairement dans une salle du musée d’Orsay. Ne surtout pas l’oublier au sortir de l’exposition !