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« L’art “ dégénéré ” : le procès de l’art moderne sous le
nazisme »
Musée national Picasso-Paris.
5 rue de Thorigny, 75003 Paris
Du 18 février au 25 mai 2025
Le Musée Picasso présente jusqu’au 25 mai 2025 une sélection d’œuvres estampillées « art dégénéré » par les nazis entre 1933 et 1945. Bien que peu nombreuses, la soixantaine d’œuvres exposées rendent parfaitement compte de cette page sombre de l’histoire de l’art marquée par la violence, l’absurdité et le désastre que provoqua le nazisme.
Cette exposition suscite deux réactions chez le visiteur. Tout d’abord, elle déclenche une réflexion sur deux registres entremêlés, celui de l’histoire de l’Europe de la première moitié du XXe siècle et celui de l’explosion d’un courant artistique révolutionnaire aux multiples styles, que l’on a appelé « art moderne ». La créativité et l’esthétique des œuvres présentées suscitent chez le visiteur une profonde émotion faite d’empathie et d’émerveillement mélangés.
Le parcours de l’exposition se décline sur six petites salles, chacune consacrée à une étape de la démarche nazie.
Salle 1
En 1937, une exposition intitulée « Entartete Kunst » ( ‘’Art dégénéré’’ ) est organisée à Munich à des fins de propagande contre les avant-gardes supposées nuire à la glorification de la pureté de la race aryenne. Plus de 20 000 œuvres sont bannies, spoliées, détruites, vendues (*). Le catalogue de ces œuvres est exposé dans une vitrine de cette première salle.
Quatre sculptures endommagées sont présentées devant un mur où sont imprimés les noms des artistes bannis. Ces quatre œuvres, oubliées dans un dépôt berlinois bombardé, furent retrouvées dans le cadre de fouilles archéologiques préalables à des travaux publics.
Salle 2 : “Le procès de l’art moderne”
Malgré son mauvais éclairage et son exigüité, cette salle présente des œuvres de toute beauté.
Les dix peintures et trois sculptures exposées témoignent de la créativité intense des artistes de cette époque, Otto Dix, Kandinsky, Klee, Nolde … dont les multiples styles, art primitif, abstraction géométrique, cubisme, dada, Die Brücke, expressionnisme, figuratif, surréalisme… ont en commun la détestation qu’ils suscitent chez les nazis. Ces œuvres ont toutes figuré parmi les 700 objets d’art de l’exposition nazie « Entartete Kunst » (Art dégénéré) de Berlin.
Les toiles Rue à Berlin d’Ernst Ludwig Kirchner et Metropolis de Georg Groz retiennent tout particulièrement l’attention par leur force et leur liberté de style, de composition et de palette opposées aux canons nazis.
Salle 3 : « Archéologie du concept de dégénérescence »
Cette salle tente, œuvres à l’appui, de comprendre comment les nazis ont réussi à justifier leur processus de bannissement de centaines d’artistes et de milliers d’œuvres en puisant aux racines du « concept de dégénérescence ».
Les œuvres de Darwin et de Max Nordau analysant les notions d’espèces et de races instables biologiquement et donc, « de dégénérescence », sont invoquées et associées à deux peintures, Les vieux convalescents de Raffaëlli et L’Arlésienne Van Goth..
Les théories eugénistes du XIXᵉ siècle sont ainsi utilisées à l’appui de la qualification de dégénéré visant les artistes modernes. Elles permettent de voir dans leurs œuvres la résultante et la manifestation de maladies mentales, de vices, de tares, susceptibles de corrompre la nation. L’élimination de ces artistes soi-disant corrompus et corrupteurs, destructeurs de l’idéal allemand de beauté et de pureté, s’en trouve ainsi justifiée.
Salle 4 : « Race et pureté »
Dans la suite logique de sa démarche de dénigrement des artistes modernes, le régime nazi poursuit son travail de disqualification et de liquidation en visant les personnalités juives, artistes, conservateurs de musées, galeristes, collectionneurs, professeurs. Ils seront démis de leurs postes, chassés, effacés. Une salle spécifique de l’exposition de 1937 « Entartete Kunst » ne présente que des œuvres d’artistes juifs considérés comme nuisibles à la société allemande.
Deux œuvres, Hommage aux peuples de couleur d’Otto Freundlich et La Prise (rabbin) de Marc Chagall frappent tout particulièrement.
La gouache de Freundlich émeut par une humanité et un universalisme honnis des nazis. La toile de Chagall, exposée au musée de la ville de Mannheim est considérée comme un manifeste de la culture juive acheté abusivement par les contribuables auxquels est adressé ce message : « Vous qui payez des taxes, vous devriez savoir où votre argent est dépensé ». Le directeur du musée est démis et le musée purgé de ses œuvres supposées contraires aux idéaux nazis.
Salle 5 : « La purge des musées allemands »
La purge nazie conduite par une commission dédiée atteint plus de vingt mille œuvres d’art réputées.
Contraires aux idéaux et à l’esthétique aryens elles sont étiquetées comme « produits de l’art dégénéré ». La peinture Trois femmes d’Erich Heckel est classée dans la catégorie « bolchévisme culturel ».
Elles sont bannies des musées allemands. Les personnalités publiques en faveur des avant-gardes sont révoquées, pourchassées, éliminées. Un grand nombre d’artistes considérés tantôt comme des bolchéviques, tantôt comme des malades mentaux, qualifications aggravés par une identité juive, fuient les persécutions et s’exilent. Ceux qui restent s’isolent. Certains sont euthanasiés ou déportés.
Salle 6 : « Le commerce de l’art dégénéré »
Face à la quantité d’œuvres saisies, Joseph Goebbels programme leur « utilisation lucrative ». Il décide de les proposer aux plus offrants à l’international. Des milliers de chefs-d’œuvre sont vendus, plus d’une dizaine de milliers sont détruits.
La galerie suisse Fischer à Lucerne s’illustre en vendant aux enchères des « Tableaux et sculptures de maîtres modernes provenant de musées allemands », 125 créations de Beckmann, Gauguin, Heckel, Kandinsky, Matisse, Picasso, ou encore Van Gogh.
Les réactions des potentiels acheteurs varièrent, certains excluent tout financement du gouvernement nazi, d’autres acceptent ces acquisitions pour préserver les œuvres.
A cet égard, certains acquéreurs ont rendu les œuvres qu’ils avaient en leur possession après la guerre. Tel est le cas de Trois femmes d’Erich Heckel, Cabine de bain de Max Beckmann, ou Livre, compotier et mandoline de Pablo Picasso.
Pour l’anecdote, on a encore récemment récupéré des œuvres spoliées. La collection Gurlitt, du nom du marchand allemand chargé par les nazis de leur revente, est notamment composée de 1600 œuvres confisquées qu’il avait gardées. En 2012, la police bavaroise retrouve l’héritier de cette manne. Reste maintenant à identifier les vrais propriétaires de ces trésors.
Conclusion
Fait du hasard, l’exposition « L’art “ dégénéré ” : le procès de l’art moderne sous le nazisme » est organisée à un moment où elle entre en résonance avec notre histoire contemporaine.
Si elle analyse les mouvements artistiques de la première moitié du XXème siècle au prisme de l’histoire, elle va au-delà et suscite une réflexion sur l’interférence des régimes autoritaires sur la création artistique. Elle pose la question de la relation entre propagande et production artistique.
(*) L’inventaire original des œuvres qualifiées par les nazis d’ « art dégénéré » est consultable sur le site du Victoria and Albert Museum : https://www.vam.ac.uk/articles/explore-entartete-kunst-the-nazis-inventory-of-degenerate-art#?xywh=-2568%2C-305%2C8987%2C6044&cv=21