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Gabriele Münter,
Peindre sans détour
Du 4 avril au 24 août 2025
Musée d’Art Moderne, Paris
Le Musée d’Art Moderne de Paris organise la première rétrospective française dédiée à la peintre Gabriele Münter (1877-1962).
Artiste allemande co-fondatrice du mouvement d’avant-garde « Blaue Reiter » ( Le Cavalier Bleu), Gabriele Münter fut l’une des initiatrices de l’expressionnisme allemand** au même titre que des artistes majeurs comme Kandinsky, Paul Klee ou August Macke.
Tout en participant pleinement à la synergie du mouvement, Gabriele Münter a conçu des œuvres dans un style personnel et constamment renouvelé où son immense talent de dessinatrice et de photographe se combine aux influences du fauvisme et de la culture populaire.

L’exposition présente 170 œuvres provenant majoritairement de la Fondation Gabriele Münter et Johannes Eichner et de la Städtische Galerie im Lenbachhaus und Kunstbau de Munich. Quelques pièces du Centre Pompidou et de collections particulières complètent cet ensemble. Ce sont principalement des peintures, mais également des dessins, photographies, broderies… retraçant le cheminement d’une de femme-artiste inspirée, talentueuse, passionnée et modeste qui a consacré sa vie à la création.
L’exposition se déploie chronologiquement en sept sections, chacune réservée à une période de la vie de l’artiste.
SALLE 1 : la photographie aux USA (1898-1901), Munich et Tunisie ( 1902-1905)
La première salle présente Gabriele Münter en 1898. Elle a 21 ans et effectue un séjour de deux années du nord au sud des Etats-Unis. Elle y prend plusieurs centaines de photographies. Ces clichés révèlent son talent inné pour le cadrage, la composition et la lumière, ainsi que son attention bienveillante aux attitudes humaines.

Garçons jouant entre Abilene et le lac d’Abilene le jour de notre départ*, Texas, 17 mai 1900, Munich, Gabriele Münter et Johannes Eichner Stiftung
De retour des Etats-Unis en 1901, Gabriele Münter s’installe à Munich, centre artistique important. Elle intègre en 1902 l’école Phalanx et son groupe d’artistes en rupture avec l’académisme. Dans ce contexte elle rencontre Vassily Kandinsky, son professeur, avec lequel elle entreprend une relation amoureuse.
En 1905, le couple voyage en Tunisie où Gabriele réalise des photographies et des peintures.
SALLE 2 : 1806-1907, premier séjour à Paris
Cette seconde salle de l’exposition se focalise sur le premier séjour parisien de Münter en 1906 et 1907.
Paris est à cette époque le centre de la création et des avant-gardes européennes. Gabriele Münter découvre les travaux des artistes à la pointe du modernisme, Gauguin, Bonnard, Picasso, mais surtout Matisse, qui auront un impact décisif sur le style de ses œuvres.
Dessins réalisés par Gabriele Münter à Paris, 1906-1907, Carnets Kon.38/14, Munich, Gabriele Münter et Johannes Eichner Stiftung
Pendant ces deux années elle fréquente l’Académie de la Grande Chaumière, elle dessine et peint. En 1906, Münter présente sept de ses réalisations brodées de perles au Salon d’Automne.
Elle pratique la gravure. Elle réalise plusieurs tirages d’une même linogravure dans différentes couleurs produisant un effet de variation du dynamisme de l’œuvre, du pop-art avant l’heure. Andy Warhol fera évoluer ce procédé avec le même résultat dans ses séries, notamment les Marylin, à partir de 1967.
En 1907, elle expose au Salon des Indépendants six études à l’huile avec pour sujet des vues de Sèvres et de Saint-Cloud. On retrouve dans ses œuvres graphiques, le cadrage photographique des années américaines.
SALLE 3 : Les portraits munichois
L’année 1908 et le retour à Munich marque une période charnière pour l’artiste dont le style évolue sous l’influence des avant-gardes parisiennes et plus particulièrement du fauvisme. Münter simplifie les formes de son dessin. Elle adopte une palette aux couleurs fortes qu’elle utilise de façon non réaliste.
Gabriele Münter réalise des portraits de personnes de son entourage immédiat, des voisins, des employés, mais également des autoportraits.
Ces œuvres sont peintes dans un style proche du fauvisme, de larges traits noirs délimitent les surfaces, les couleurs sont très vives voire criardes, les contrastes entre zones d’ombre et de lumière sont accusés, le dessin est simplifié.

Mademoiselle Matilde au châle bleu, vers 1908-1909, carton, Munich, Grabriele Münter et Johannes Eichner Stiftung
SALLE 4 : 1808-1914, affirmation de l’ expressionniste, avec de la Nouvelle Association des Artistes de Munich, puis dans le cadre du Blaue Reiter ( Cavalier Bleu)
En 1909 Gabriele Münter fait l’acquisition d’une maison à Murnau qui jouera un rôle majeur dans sa vie. A la fois décor, lieu de vie, lieux de création, refuge, œuvre et modèle, la « maison jaune » accompagnera sa propriétaire jusqu’à sa mort et même au-delà en devenant un musée.
1909 est également l’année où fut fondée la Nouvelle Association des Artistes de Munich présidée par Kandinsky et cofondée par Gabriele Münster et d’autres artistes. Leur manifeste prévoit notamment « de débarrasser les formes de tout ce qui est secondaire pour mieux mettre en évidence ce qui est important ».
Cette période se caractérise par une intense créativité de l’artiste dont les œuvres s’inscrivent dans cette nouvelle orientation.
Simplification du dessin stylisé et réduit à l’essentiel, réduction des formes délimitées par des cernes noirs à la manière du cloisonnisme, couleurs vives irréalistes en grands aplats, traits exagérés, composition déséquilibrée, se retrouvent dorénavant dans tous ses tableaux qu’il s’agisse d’une nature morte, d’un paysage ou d’un portrait.

Nature morte en gris, 1909, huile sur carton, Munich, Lenbachhaus
Le tableau Portrait de Marianne von Werefkin dépeint la baronne, égérie de la Nouvelle Association des Artistes de Munich et compagne du peintre Jawlensky.
Ce magnifique portrait représente une femme émancipée, à l’expression spirituelle, directe et assumée. Gabriele Münter explique qu’elle a peint le sujet avec en fond la façade jaune de sa maison. Elle adopte résolument le style expressionniste qui reprend à son compte les caractéristiques du fauvisme.
Münter s’inspire de la toile Femme au chapeau que Matisse a réalisée et exposée au Salon d’Automne en 1905 à Paris où elle résidait au même moment. On observe comment l’artiste applique à la lettre les préceptes du manifeste visant à « débarrasser les formes de tout ce qui est secondaire pour mieux mettre en évidence ce qui est important ».
Elle se concentre en effet sur l’expressivité du visage du personnage et sur les couleurs du chapeau, alors que le reste du tableau consiste en de grands aplats de couleurs vives et uniformes.
On observe dans les paysages et les natures mortes de Münter des années postérieures à 1910, la distorsion des figures géométriques associée à une utilisation et une application de couleurs irréalistes en larges aplats.
Nature morte dans le tramway étonne par son cadrage serré sur les paquets posés sur les genoux d’une femme assise dans le tramway, ses mains gantées portent un pot de fleurs rouges. Dans cette toile, la peintre se rapproche de la photographe, elle joue l’audace et opte pour une représentation à mis corps, laissant hors champ la tête du sujet.
Intérieur à Murnau met en scène l’intimité du couple Münter – Kandinsky dans la maison de Murnau la nuit. Tel un cliché photographique, une composition en diagonal révèle une première pièce : face au peintre la fenêtre sans volet laisse voir le ciel de nuit et instaure une temporalité ; à droite une table de toilette entourée de brocs et d’un sceau renforce l’atmosphère d’intimité ; au premier plan une paire de chaussures ; un étroit tapis souligne la diagonale et mène, tel un chemin à la partie gauche de la scène où une embrasure s’ouvre sur Kandinsky couché dans un lit en train de lire.
1911 voit la naissance du groupe d’avant-garde Blaue Reiter ( Cavalier Bleu). Vassily Kandinsky en définit l’objet, « notre but est de montrer dans la variété des formes représentées, comment le désir intérieur des artistes se réalise de multiples façons ».
Le choix du nom Blaue Reiter (Cavalier Bleu) renvoie à deux composantes : la liberté et la vaillance du cavalier et la couleur bleue, symbole de spiritualité et de mise à distance du réalisme. La figure mythologique de Saint Georges, le saint guerrier, en est l’incarnation.
Gabriele Münter reprend ce thème dans son tableau Combat du dragon. Elle utilise l’iconographie du Blaue Reiter et s’en sert pour mettre en évidence les combats des artistes contre la tradition, la lutte du bien contre le mal, de la liberté contre l’oppression.
Dans sa recherche d’authenticité et de pureté, le Blaue Reiter prône un intérêt pour l’art vernaculaire ainsi que pour la vérité et la spontanéité des dessins d’enfants.
Dans cette veine, Münter collectionne des objets traditionnels entre spiritualité et folklore.
Elle réalise quelques nature morte où elle met en scène ces éléments symboliques. Œufs de pâques, colombe du Saint-Esprit, statuette de la Vierge à l’Enfant, figure de saint Georges, ponctuent certaines de ses natures mortes.
Münter a constitué avec Kandinsky une collection de plusieurs centaines de dessins d’enfants dont elle va réutiliser certains dans ses propres toiles. Dans Au salon deux dessins d’enfant aux pieds du sujet constituent une partie du décor. Dans d’autres toiles elle copie des dessins d’enfants en les réinterprétant.
SALLE 5 : Berlin, Paris, les années 20, une nouvelle figuration
La Première Guerre mondiale casse la dynamique du mouvement de l’expressionnisme allemand dont les différents protagonistes se dispersent. Franz Marc et August Macke meurent au combat, Kandinsky retourne en Russie où il se marie en 1917. En 1915, Gabriele Münter s’exile en Scandinavie où elle reste jusqu’en 1920. En l’absence de membres actifs, le groupe du Blaue Reiter s’éteint.
Pendant son séjour en Scandinavie, Münter découvre le fauvisme scandinave et l’expressionnisme décoratif. Elle s’intéresse à la traduction expressionniste de la psychologie féminine.
Le tableau Penseuse qu’elle peint en 1917 en fait la synthèse. Elle y exprime toute une gamme d’émotions dont l’intensité est renforcée par l’instabilité des objets du décor. Sujet et fond ornemental se fondent en une seule entité en déséquilibre, la composition les mettant sur le même plan à la manière de Matisse.
En 1920, Münter retourne en Allemagne où le courant de la Nouvelle Objectivité se développe. Entre 1920 et 1930, son style évolue vers un retour à la figuration réaliste.
En 1921 elle se représente dans un Autoportrait dans ce même style. Un face à face s’établit entre le visiteur et le modèle, son regard sérieux, direct et sans artifice le fixe. On observe une importante évolution, toute stylisation a disparu, le dessin est subtil et réaliste, il n’y a plus de cernes noirs autour des surfaces, le traitement de la lumière et des couleurs se rapprochent de la réalité.
Durant ses années berlinoises, Gabriele Münter revient au dessin qui, dès sa jeunesse, fut l’une de ses pratiques préférées.
Elle livre des croquis dont l’économie de moyens est remarquable. En à peine quelques traits, elle esquisse des portraits saisissants.
Elle exécute un grand nombre de dessins de femmes visant à exprimer le caractère et l’humeur du sujet. Une série de croquis présente des femmes modernes dans de multiples poses, assises, affalées, fumant, lisant, avec un chien…
De retour à Paris, Gabriele Münter revient à la peinture mais adopte une nouvelle approche faite de surfaces colorées et de sujets réalistes. Elle dépeint son environnement, la ville, les maisons, les rues, l’ambiance la nuit.
Elle réalise aussi des natures mortes avec la vaisselle et la verrerie de ses repas.
Elle portraitise ses connaissances, le plus souvent des femmes.
Sténographie, Suissesse en pyjama mêle deux techniques : le dessin, en raffinement et en finesse, et la peinture, en aplats de couleurs harmonieuses, noire, blanc, bleue, grise et rouge. L’artiste propose une composition toute en douceur où le modèle occupe l’intégralité de la toile, instaurant ainsi une proximité avec le visiteur.

Sténographie. Suissesse en pyjama*, 1929, toile,Munich, Gabriele Münter et Johannes Eichner Stiftung
Dans un style opposé, le tableau Auditrices se caractérise par une stylisation des figures des quatre femmes assises en rang d’oignon, un éclairage qui découpe l’espace et instaure un éloignement avec le visiteur.
SALLE 6 : Une nouvelle vie à Murnau
En 1931, Gabriele Münter s’installe dans sa maison de Murnau et renouvelle son intérêt pour son village et les alentours. Ce recentrage s’associe avec un retour au style expressionniste. Dans le tableau La maison de Münster à Murnau elle se représente, frêle silhouette à la fenêtre de sa demeure.
Münter peint les paysages environnants dans le style typique du Blaue Reiter, simplification et stylisation des formes, lignes franches, larges aplats de couleurs vives entourés cernes noirs qui donnent à ses panoramas une intensité mystique.
Deux ans après la promulgation du IIIe Reich, Münter livre un Autoportrait sans concession et très ressemblant. Le style expressionniste traduit l’humeur de l’artiste, volontaire, attristée, son regard bleu fixe le visiteur et le prend à témoin.

Autoportrait, 1935, carton, Munich, Gabriele Münter et Johannes Eichner Stiftung
La même année 1935, Münter répond à une commande dans le cadre des « routes d’Adolf Hitler dans l’art ».
Loin de la glorification de la puissance aryenne elle représente dans Pelle mécanique* et L’excavatrice bleue un monumental engin de chantier entouré de petits personnages informes et sans texture, évoquant des esclaves au service d’une machine dévorante et implacable.
En 1938, la loi sur « la confiscation des produits de l’art dégénéré » est promulguée. Pendant cette période Münter continue à peindre mais se distance de la sphère de l’art officiel. Elle conserve cachées dans la cave de sa maison ses œuvres de sa période expressionniste et celles de Kandinsky.
L’exposition se termine sur deux œuvres des années 1950 qui témoignent d’un regain d’optimisme à l’issue de cette sombre période de répression de la création artistique et des artistes.
En effet, au mélancolique Petit-déjeuner avec les oiseaux de 1934, répond l’abondance de la Nature morte devant la maison jaune de 1953, la table frugale en hiver est remplacée par la profusion de fruits et de fleurs devant la demeure de l’artiste.

Nature morte devant la maison jaune, 1953, toile, Munich, Gabriele Münter et Johannes Eichner Stiftung
Et le superbe paysage aux couleurs vive, Lac bleu, de 1954 est substitué à la désolation du Lac Gris* de 1932.
Conclusion
L’exposition Gabriele Münter retrace en images le cheminement créatif d’une femme d’avant-garde, douée et libre qui a voulu donner une intensité expressive à des sujets classiques, portraits, paysages, natures mortes. Son style se caractérise par des compositions et ses cadrages novateurs, une simplification des formes, une stylisation, l’emploi des couleurs vives entourées de cernes noirs. Ses natures mortes et surtout ses paysages sont porteurs d’une intensité poétique et quasi mystique.
Dans un renouvellement permanent, les créations de Gabriele Münter évoluent au fil du temps et des rencontres, avec pour unique préoccupation, la recherche de l’essentiel.
A ne pas manquer !
Notes
* Le titre des images suivis d’un astérisque a été attribué par Gabriele Münter
** L’expressionnisme allemand est un mouvement d’avant-garde né vers 1905 en Allemagne. Les artistes expressionnistes entendent contester les traditions académiques de même que l’impressionnisme. Les artistes expressionnistes s’inspirent du fauvisme et de son chromatique exacerbé afin d’exprimer une dimension émotionnelle et psychologique optimale. Priorité est donnée aux sensations subjectives au détriment d’une représentation objective.