ArtExpos
Pour l’amour de l’art !

Exposition Modigliani / Zadkine
…une amitié interrompue
Musée Zadkine
100 bis rue d’Assas – 75006 Paris
Du 14 novembre 2024 au 30 mars 2025
Jusqu’au 30 mars 2025, le charmant Musée Zadkine accueille ses visiteurs en offrant à leur regard d’une centaine d’œuvres, peintures, dessins, sculptures, photographies, documents d’époque.
Amedeo Modigliani voit le jour en Toscane en 1884. Ossip Zadkine nait en 1888 en Biélorussie. Paris, centre du rayonnement des avant-gardes artistiques en ce début du XXème siècle, attire les artistes du monde entier : Modigliani arrive à Paris en 1906 et Zadkine en 1910.
L’exposition du Musée Zadkine met en évidence le parcours croisé de deux jeunes créateurs qui partagerons le temps d’une décennie les mêmes influences, les mêmes amis, les mêmes émulations, les mêmes lieux, le même souhait d’en finir avec l’académisme. La première guerre mondiale signera la fin de ce compagnonnage artistique.
Modigliani a fait la connaissance de Constantin Brancusi en 1909 et se consacre, à cette époque, à la sculpture. Zadkine rencontre Modigliani en 1913 et partage avec lui sa passion pour cette discipline.
Les nombreux dessins préparatoires, peintures et sculptures de l’exposition instaurent une confrontation artistique. La présentation des œuvres met en évidence les influences réciproques que chacun de ces deux artistes exerce sur l’autre, tout en cheminant séparément vers leur propre univers : l’esthétique marquée par la sculpture du masque africain de Modigliani; l’approche primitiviste des matériaux de Zadkine.
Visite guidée
L’exposition débute en présentant côte-à-côte une sélection d’œuvres de Modigliani et de Zadkine. La première petite salle propose trente œuvres réalisées entre 1909 et 1924, quinze sculptures, dessins, gouaches et aquarelles de Zadkine, quinze esquisses préparatoires, tableaux et sculpture de Modigliani.
Au milieu de la pièce deux têtes se côtoient sur des piédestaux.
La massive mais gracieuse Tête de femme de Modiglianiréalisée en 1913 comporte déjà certaines caractéristiques propres aux œuvres de cet artiste : yeux pleins et vides, bouche petite, ferme et très dessinée, long nez droit marqué, pommettes, petit menton, expression impénétrable.
A son coté la Tête héroïque de Zadkine s’impose massive et expressive dans son esthétique primitiviste. Petite anecdote : cette pierre de granit aurait été apportée de Biélorussie par le sculpteur dans sa migration vers Paris où il l’aurait façonnée.
A droite de l’entrée, le tableau Femme au ruban de velours peinte par Modigliani en 1915 comporte tous les traits inhérents à l’esthétique typique du peintre, visage allongé façonné comme un masque africain, yeux vides colorés de bleu, bouche petite et pincée, expression fermée.
Sur le coté gauche de la pièce, la sculpture de Zadkine Tête de femme de 1924 y fait écho, avec sa tête hiératique très allongée, ses yeux emplis de peinture bleue et sa bouche colorée de rouge.
Cette première salle présente une majorité d’œuvres graphiques. Modigliani est à la recherche du visage idéal et d’une esthétique particulière. Quelques uns de ses dessins préparatoires témoignent de ses « ruminations graphiques », du processus de maturation qui l’amenait à concevoir ses œuvres finales en réalisant de d’innombrables esquisses.
Plusieurs superbes dessins, aquarelles et gouaches réalisés par Zadkine révèlent une autre facette de cet artiste plus connu en tant que sculpteur, et pourtant dessinateur tout au long de sa vie. A son retour de la première guerre mondiale, il va un temps s’investir dans des productions d’inspiration cubiste, aux assemblages de lignes libres et aux volumes colorés.
On observe des va-et-vient entre œuvres graphiques et sculptures.
Ainsi Zadkine s’inspire-t-il de sa sculpture Musicienne réalisée en 1919, pour son aquarelle Le musicien de 1923.
De même observe-t-on des correspondances entre le dessin Couple et la sculpture Sainte famille dans l’osmose des corps, la douceur touchante de la fusion des protagonistes.
Dans la sculpture Maternité, Zadkine utilise à nouveau la représentation des «corps fusionnés ». La mère et son enfant constitue un bloc compact exprimant une osmose parfaite. On y discerne difficilement un personnage de l’autre. La tendresse s’exprime dans l’attitude de la tête de la mère, penchée à l’extrême vers l’enfant. Zadkine dialogue avec le matériau pour le faire parler et en faire naître une émotion.

Torse agenouillé, Ossip Zadkine, Sculpture, calcaire de Pouillenais, 1927
Les œuvres exposées dans les petites salles suivantes concourent à dépeindre l’environnement artistique des « Montparnos » auxquels appartenaient Zadkine et Modigliani. On y retrouve principalement croqués par ce dernier des portraits de leurs proches, Max Jacob, André Salmon, Soutine…
Quelques photographies complètent ce panel.
Dans une alcôve en rotonde, la gracieuse sculpture de forme oblongue Oiseau d’or réalisée par Zadkine en 1924 rappelle la série des seize Oiseau dans l’espace de Brancusi et notamment la version en bronze poli de 1923. La sculpture de Zadkine s’en distingue néanmoins par son style beaucoup plus figuratif.
Un faux remarquable !
La dernière salle du bâtiment principal évoque le succès posthume de Modigliani au travers de documents d’époque. Comble de la célébrité, les imitations pullulent, en témoigne un authentique faux, Femme brune, accroché dans la salle.
A ce point de l’exposition, on sort dans un agréable petit jardin ponctué de sculptures monumentales que Zadkine a réalisées entre 1927 et 1963. Cette déambulation d’œuvre en œuvre permet de comprendre l’évolution artistique et stylistique du sculpteur.
A partir du bloc de granit apporté de Biélorussie qu’il façonnât dans une manière primitiviste à son arrivée à Paris en 1910, il évolue dès la fin des années Vingt vers des thèmes mythologiques comme Rebecca ou La Naissance de Vénus.

Rebecca ou La grande porteuse d’eau, Ossip Zadkine, Sculpture, bronze, vers 1927

Naissance de Vénus, Ossip Zadkine, Sculpture, bronze, vers 1930
Après la guerre seconde mondiale, il opte pour des sujets exprimant la douleur humaine comme Torse de la ville détruite.
Cette sculpture est issue du constat que fait Zadkine, en 1947, lors d’un passage en train à Rotterdam : la ville en ruine l’horrifie et lui inspire la création de la sculpture monumentale La Ville détruite, commandée par la ville de Rot terdam et qu’elle inaugure en 1953. Le bronze du musée en est la maquette.
Zadkine sera considéré comme le principal vecteur d’introduction de la sculpture moderne dans le paysage urbain.
Cette sculpture nécessite d’être installée en l’extérieur, accessible au vent, afin que puissent tourner sur leur axe les volets métalliques qui représentent les organes du personnage. Leur mouvement est aléatoire et soumis au bon-vouloir de la météo. Ainsi cette sculpture offre-t-elle un aspect toujours différent au regard.

Montagne ou Statue pour un jardin ou Cœur venteux, Ossip Zadkine, Sculpture, bronze, 1958
Dernière étape de l’exposition, l’atelier de l’artiste, où le visiteur retrouve des œuvres de Zadkine de 1918 à 1923, associées à des œuvres de 1911 à 1913 de Modigliani, quelques dessins et un pastel.
Au centre de l’atelier, alignées sur des piédestaux, trois têtes taillées dans la pierre accrochent le regard du visiteur qui pénètre dans la pièce. Visages allongés, nez stylisés, orbites remplies, expression sévère, ces sculptures furent créés par Zadkine dès son retour de la guerre, en 1918 et 1919.
Sur le mur de gauche, trois masques aux yeux évidés, réalisés en 1924, font écho à ces trois têtes avec lesquelles elles partagent la même esthétique.

Masque, Ossip Zadkine, Sculpture, bois de buis, 1924
Réparties autour de la salle, quatre sculptures féminines, témoignent de la variété des thèmes et de l’esthétique de Zadkine.
Sculpture cylindrique particulièrement complexe, Les vendanges représente quatre femmes entremêlées célébrant les vendanges. Le matériau utilisé est un tronc d’arbre dont le sculpteur a façonné le pourtour en épousant les formes de la grume. Il a utilisé les défauts du bois pour représenter des détails, tels les départs de branches pour figurer les paniers de fruits. Les vendanges, thème païen par excellence, est une œuvre typique du style primitiviste que Zadkine privilégiait à ses débuts.
Zadkine a utilisé de nombreuses fois le thème de Rebecca ou La grande porteuse d’eau. Cette grande œuvre de trois mètres de haut, au corps disproportionné, à contre-courant du classicisme, se situe dans la ligne des sculptures d’influence africaine. C’est un moulage de plâtre polychrome. Le thème de cette œuvre renvoie à la nature, à la source. Sa version en bronze est présente dans le jardin, dans l’élément naturel auquel elle appartient.
Dans cette sculpture Zadkine établi à nouveau un dialogue avec la matière. Dans une approche directe avec le tronc, le sculpteur s’est laissé guider par le matériau pour donner forme à cette Vénus. Une main cachant son entrejambe, son autre bras entourant sa tête, la figure s’élargit en se rapprochant du socle. Larges hanches, courtes jambes fortes et massives, ses pieds sont ancrés dans le socle qui n’est en fait que l’extrémité du tronc d’arbre dégrossi et stabilisé. Indissociables, socle et figure constituent, à la façon de Brancusi, une même œuvre.
Au fond de l’atelier, sont accrochés huit dessins de Modigliani. On ne peut qu’observer une parenté esthétique entre ces dessins et les sculptures féminines de Zadkine exposées dans l’atelier. Même détermination de s’écarter des canons du classicisme, même volonté de retrouver les volumes et les formes essentielles pour exprimer la figure humaine.
Un magnifique pastel de Modigliani clôture l’exposition. Il résume en une image toutes les caractéristiques esthétiques des œuvres de l’artiste : visage à l’expression impénétrable des masques africains, finesse du buste, puissance et souplesse des membres. Il s’en dégage une grâce et une sensualité incomparables.

Cariatide, Amedeo Modigliani, lavis et pastel sur papier, vers 1913 et 1914
A l’issue de l’exposition Zadkine / Modigliani, on ressort heureux. On est touché par l’inventivité, la grâce et l’humanité des œuvres. Si le sous-titre « Une amitié interrompue » peut sembler un peu exagéré, on retient néanmoins le compagnonnage artistique fécond qui liait les artistes avant-gardistes de cette époque et leur faisait partager idées et influences dans l’effervescence du Montparnasse du premier quart du XXème siècle.
Un rendez-vous à ne pas manquer pour tous les amoureux de l’art du siècle dernier.