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Matisse et Marguerite,
Le regard d’un père.
Du 4 avril au 24 août 2025
Musée d’Art Moderne, Paris
Jusqu’au 24 aout prochain, le Musée d’Art Moderne de la ville de Paris propose à ses visiteurs l’histoire en images de Marguerite Duthuit-Matisse (1894-1982). En 110 œuvres de toutes natures exposées chronologiquement – peintures, dessins, sculptures, gravures, céramiques – l’exposition suit année après année, l’évolution de la vie de Marguerite telle que l’a perçue son père, Henri Matisse.

Certaines de ces œuvres, pour la première fois exposées en France, sont issues de collections américaines, japonaises et suisses. Des photographies, des courriers et des documents administratifs, mais aussi des peintures réalisées par Marguerite, complètent l’exposition. Cette déambulation en image témoigne de la force du lien père-fille entre Matisse et sa fille qui figure parmi ses modèles les plus récurrents.
L’exposition décline chronologiquement trois registres, trois fils conducteurs entremêlés.
D’une part, le visiteur assiste fasciné à l’histoire en images de Marguerite, tour à tour enfant malade, modèle, artiste, assistante, résistante, mère, agent. Pas à pas, il observe son évolution et comprend le rôle majeur qu’elle joua dans la carrière de son père.
D’autre part, le visiteur est témoin de l’attachement attentif de Matisse à portraiturer sa fille : il dresse régulièrement un compte rendu en images de l’état Marguerite, de sa souffrance physique et psychique.
Enfin, l’exposition rend compte de l’évolution de la recherche de Matisse en termes de stylistique : fauvisme, géométrie, expressionnisme moderne, impressionnisme. L’abondance de dessins et d’études témoignent du constant travail d’expérimentation de l’artiste.
L’exposition se déroule sur neuf salles.
Salle 1 « Cette petite fille là… »
« ….il l’aimait, Matisse, comme il n’a peut-être jamais aimé personne. Est-ce qu’elle l’a su ? Pas sûr » selon le poète Louis Aragon.
Marguerite nait en 1897.
S’il n’épouse pas la mère de Marguerite, Matisse reconnait sa fille qui viendra dès ses trois ans habiter avec lui et sa femme Amélie. A l’âge de quatre ans, Marguerite contracte une diphtérie. Elle subit une trachéotomie dont les effets sur sa santé, sur son quotidien mais également sur sa relation de proximité avec son père, dureront jusqu’à ses 24 ans, si ce n’est, toute sa vie. Elle devient l’un de ses modèles les plus constants. Le ruban cachant la cicatrice de son cou forme presque un attribut du personnage de sa représentation picturale.
Les années 1900-1905 constituent la période où Matisse va évoluer vers le fauvisme dont il fut l’un des précurseurs. Dans le tableau Marguerite, 1901-1906, les bleus outremer côtoient des nuances de beige grisé et l’on perçoit des similitudes stylistiques entre cette toile et Nature morte à la cruche bleue*, 1900-1903.
Rapidement, le style de Matisse évolue. Sa peinture devient plus nerveuse avec des couleurs vives, des touches visibles et éparpillées comme on le voit dans Intérieur à la fillette de 1905-1906 ou dans Nature morte, serviette à carreaux* de 1903-1904. C’est le début du fauvisme.
Salle 2 : Collioure, 1906-1907
Ces années consacrent Marguerite comme modèle régulier de Matisse.
Il va réaliser un nombre conséquent de dessins et d’études de sa fille dont nous retrouvons une partie dans l’exposition à partir de cette salle.
Ces études trouvent leur aboutissement dans les portraits de Marguerite.
Simplicité et complexité se mêlent dans le tableau Marguerite lisant. La toile exprime le temps suspendu d’un monde réduit à l’intimité, l’univers d’une jeune fille malade contrainte au confinement. On retrouve dans les lignes simplifiées et stylisées qui définissent Marguerite, le travail de recherche qu’a effectué Matisse dans ses innombrables études et esquisses.
Le Portrait de Marguerite réalisé à Collioure en 1906-1907 est typique de la période fauviste.
On peut rapprocher cette peinture de l’Autoportrait (*) que Matisse a peint la même année. Même fond et vêtement partiellement vierges. Mêmes tonalités vertes et roses du visage. Même austérité, mêmes regards appuyés des sujets, même tension de l’expression grave des personnages. Matisse place le père et la fille sur des plans analogues, instaure une altérité, tous deux semblent partager un sort similaire.
Salle 3 : Marguerite, modèle d’avant-garde
A son entrée dans la rotonde de la salle 3, le visiteur se trouve confronté à deux uniques toiles. Toutes deux représentent une Marguerite préadolescente d’une dizaine d’années, de face, dans une pose hiératique, cou caché par haut col ou un épais ruban noir, posant un regard sérieux et direct sur le visiteur.
La Marguerite de 1906-1907 comporte en haut de la toile l’inscription en lettre majuscules maladroites « MARGUERITE ». Cette légende évoque la signature d’un dessin d’enfant et renvoie ainsi à la fragile maturité de la toute jeune fille. Dans la même veine, on peut comparer cette Marguerite au Portrait de Pierre (*) de 1909 qui semble partager une structure et une frontalité analogues.
Dans le tableau Marguerite au chat noir de 1910, la jeune fille porte un bijou sur le haut col de sa tunique. Un chat repose sur ses genoux. Cette toile est considérée comme une œuvre déterminante de la production de Matisse. L’artiste présentera ce portrait dans de nombreuses expositions internationales. Il refusera toujours de la vendre et la conservera jusqu’à sa mort.
Si l’on rapproche cette peinture d’une autre toile de la même époque, Baigneuses à la tortue (*), l’on retrouve des caractéristiques analogues dans la tonalité des verts et des roses, dans le traitement des fonds en grands aplats et dans la stylisation des lignes notamment du corps humain.
Pendant cette période, Matisse exprime une créativité foisonnante et hétéroclite. Il représente aussi bien des nus comme ce Nu assis*, de 1909, que des portraits de sa fille Marguerite d’une grande sobriété comme la Marguerite au chat noir, de même qu’un surprenant, saturé et très structuré, Intérieur aux aubergines* où l’on retrouve la passion décorative de l’artiste ainsi que le thème du « tableau dans le tableau » avec fenêtre, miroir, paravent, table, etc.
Salle 4 : Portraits de guerre, 1914-1916
Au début de la première guerre mondiale Marguerite a dix-sept ans. Elle tente de reprendre ses études mais ses problèmes de santé l’entravent et elle doit renoncer à son projet. Elle retourne à son rôle de modèle auprès de son père. Elle s’attèle également à la constitution du catalogue des œuvres paternelles, travail qu’elle poursuivra sa vie durant.
Matisse tente de multiples expérimentations picturales plus ou moins radicales. Sous l’effet de l’émulation des artistes contemporains, ces peintures évoluent graduellement vers une stylisation accrue du dessin et un certain assombrissement de sa palette.

Marguerite au chapeau de cuir, Paris quai Saint Michel, 1914, huile sur toile, Musée Matisse, La Cateau-Cambresis
Marguerite doit pendant cette période subir de nombreux traitements qui la font souffrir. Sur ce dernier portrait, ruban de velours noir au cou, cernes gris, visage creusé, son expression apparaît marquée par la souffrance et la fatigue.
Les dessins et études abondent.
A force de recherches, Matisse produit des esquisses et portraits de Marguerite qui semblent parfois avoir pour modèles d’autres personnes.
Salle 5 : Mademoiselle Matisse entre Nice et Paris, 1918-1919
Pendant l’année 1918, Marguerite pose pour de multiples œuvres. En un peu moins de deux années, Matisse réalise pas moins de neuf portraits à l’huile. L’artiste affuble son modèle de manteaux spectaculaires, de fourrures, de chapeaux parfois extravagants. La plupart du temps, Marguerite pose assise dans un fauteuil confortable, témoignant ainsi de sa fatigue.

Etude pour Mademoiselle Matisse en manteau écossais, Nice, quai des Etats-Unis, printemps 1918, crayon graphite sur page de carnet, collection
particulière

Petit portrait de Marguerite à la toque de fourrure, Issy-les-Moulineaux, printemps 1918, huile sur bois, , collection particulière
Le tableau de grand format, Le thé, daté de l’été 1919 représente pour la première fois Marguerite en compagnie d’un autre modèle. Matisse la fait poser un chat noir sur les genoux, une allusion à son célèbre portrait de 1910.
L’artiste donne aux traits de son visage la géométrisation d’un masque africain, peut-être une allusion aux Demoiselles d’Avignon de son ami et concurrent Pablo Picasso qui a fasciné les artistes de cette époque.
Salle 6 : Etretat, 1920
Début 1920, une opération libère Marguerite de son handicap. Sa cicatrice s’efface. Le ruban noir de son cou disparait. C’est le début d’une nouvelle vie. Elle va passer sa convalescence à Etretat avec son père. Le petit tableau Etretat, la voile rouge dresse le décor de ce séjour, on y devine Marguerite assise en bordure de plage sur la gauche de la toile.
A Etretat, Matisse réalise plusieurs dessins de sa fille débarrassée de son ruban noir.
La toile Marguerite endormie offre au visiteur la vue d’une Marguerite guérie, apaisée, détendue, paisiblement assoupie tandis que son père veille sur elle tout en la peignant. De ce tableau émane une tendresse d’autant plus touchante que le visiteur ne manque pas de le confronter aux portraits antérieurs de Marguerite qu’il vient de regarder.
Période de transition pour Matisse, ses œuvres des années 1920 sont parfois considérées comme un retour à la tradition. C’est également une phase de recherches sur la lumière, le placement des volumes dans l’espace et le rôle du décor. A Etretat, Matisse travaille sur de nouveaux motifs.
Ainsi, en écho à Etretat, la voile rouge, le tableau de la même époque, Fenêtre ouverte sur la mer à Étretat (*) montre son intérêt accru pour des formes simplifiées, l’emboitement des volumes, les touches différenciées mais également pour une palette éclaircie que l’on observe également dans Marguerite endormie.
L’année de 1921 marque le début d’une vie de jeune femme pour Marguerite. Elle a 28 ans. Marguerite va se lier à des personnes de son âge. Matisse s’est installé à Nice et sa fille lui rend visite. Il la fait poser dans de nombreux tableaux en binôme avec une autre modèle, Henriette Darricarrère.

Deux femmes en voiture, Nice 1921, encre sur papier, The pierre and Tana Matisse Foundation Collection, NY

Etude pour les musiciennes, Nice fin janvier-mi avril 1921, crayon graphite sur papier, collection particulière
Matisse multiplie les mises en scène de ces deux jeunes femmes, en intérieur, musiciennes dans un salon, debout près d’une fenêtre ; et en extérieur, debout dans un paysage, allongées au pied d’un arbre, assises sur un balcon, sur une terrasse.

Divertissement, Nice hôtel de la Méditerranée, fin janvier-mi avril 1921, huile sur toile, Baltimore Museum

Le paravent mauresque, Nice, place Charles-Félix septembre 1921, huile sur toile, Philadelphia Museum of Art
A partir de 1921, Marguerite prend la direction de la carrière de son père. Elle se charge de l’intégralité de la logistique et de la communication. Elle veille à l’organisation des expositions à travers le monde, en Europe, en Asie, aux Etats-Unis, tant dans les galeries que dans les musées, notamment pour la fameuse exposition de 1931 au Museum of Modern Art de New York.

Exposition 1931 Moma NY Matisse – Marguerite au chat noir
Fin 1923, Marguerite épouse l’historien et critique d’art Georges Duthuit. Deux pages d’un carnet de dessins de Matisse de 1924 représentent sa fille à cette époque.
Salle 8 : Marguerite au travail
Elément peu connu, Marguerite s’est essayée à la peinture dès 1914. Deux autoportraits de cette époque la représentent ruban noir orné d’un pendentif au cou, large décolleté.
Elle expose ses toiles à plusieurs occasions, notamment au Salon des Indépendants. On y retrouve plusieurs éléments présents dans les œuvres de son père, des objets, de l’ameublement, des mises en scène, des perspectives et cadrages analogues.
Jean et Pierre, les jeunes frères de Marguerite, produisent également des œuvres.
Marguerite pose en 1922 pour Jean Matisse qui s’orientera plus tard vers la sculpture.
Pierre Matisse qui ouvrira par la suite une galerie d’art renommée à New-York, la prend pour modèle en 1921.
En 1935 elle se détourne de la peinture pour se tourner vers la mode. Elle produira une collection d’une vingtaine de modèles en Angleterre.
Salle 9 : Le visage du retour, 1945
Pendant la Seconde Guerre mondiale, Marguerite était un membre actif de la Résistance française. Marguerite est arrêtée le 21 mai 1944 et torturée presque mortellement par des agents de la Gestapo dans une prison de Rennes. Envoyée au camp de concentration de Ravensbrück, son train est stoppé par un raid aérien des forces alliées, ce qui lui permet de s’échapper en se cachant dans les bois, avant d’être secourue par d’autres résistants puis par la Croix-Rouge qui la cache.
Elle est libérée en octobre 1944. Le 10 octobre 1944, Marguerite envoie une carte à son père pour le rassurer.
Matisse revoit sa fille en janvier et février 1945. Il réalise de nombreux portraits de Marguerite.
Conclusion
L’exposition Matisse et Marguerite, le regard d’un père, met en lumière une femme au destin extraordinaire. Courageuse, intelligente, modeste et discrète, elle joua un rôle de premier plan dans l’œuvre de son père et dans sa diffusion. Elle fait partie de ces femmes essentielles qui vivent dans l’ombre de l’artiste célèbre sans jamais revendiquer leur juste place. A partir de 1914, elle s’attacha à cataloguer les œuvres d’Henri Matisse et noua d’innombrables collaborations visant à les faire toujours mieux connaitre. A sa mort en 1982, Marguerite avait presque achevé ce catalogue.
(*) Oeuvre ne figurant pas dans l’exposition « Matisse et Marguerite, le regard d’un père », citée qu’à titre d’illustration.